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Récits divers

Amitié entre

Michael O'Brian et Stephan Delorme

*XVIII ème siècle*

 

Les rumeurs des spectacles de rue furent portés jusqu'à la petite clinique dont les quelques fenêtres donnaient sur la place central où avaient lieu les festivités. A l'intérieur, les mains tachées du sang de son patient, Manakel qui répondait dans cette vie-ci au nom de Michael O'Brian (Chirurgien, Médecin et Philosophe naturel de son état), s'appliquait à suturer la plaie fraichement désinfectée de son patient. Heureusement que ce dernier fut rapidement pris en charge, sans quoi, l'infection se serait propagée et il aurait certainement fallut amputer.

-"Delorme, il est à vous. N'oubliez pas: Ancolie et Millepertuit. C'est très important." dit-il en se relevant.

-"Aaah O'Brian, combien de fois vous ai-je dit de ne pas tenter de m'apprendre mon métier ? Vous êtes peut-être docteur, mais c'est moi qui porte le titre d'Apothicaire. Tâchez de vous en souvenir, je vous pris." répond avec bonne humeur l'homme qui devait bien mesurer deux têtes de moins que le médecin aux cheveux blonds et aux sourcils si clairs qu'ils semblaient quasi inexistants.

-"Un brillant Apothicaire et vous me secondez à merveille, Monsieur Delorme."

-"C'est trop d'honneur. Maintenant, avec tout le respect que je vous dois, sortez et laissez moi vous 'seconder' comme il doit être: Oust Docteur !"

Il prit la place de ce dernier et fouilla dans sa serviette remplie de petits récipients et bocaux en tout genre à la recherche des ingrédients nécessaires à la finalisation des soins.

Pendant ce temps, ledit docteur se rendit jusqu'à une bassine d'eau située sous une fenêtre dans la pièce d'à côté, afin de se laver les mains. Pendant qu'il procédait, il prit enfin le temps de jeter un œil à l'extérieur. Les couleurs et la foule ne manquèrent pas de lui rappeler l'époque où lui même se donnait en spectacle. Voyageant de ville en ville seul ou parfois en compagnie de petites troupes itinérantes auxquels il se greffait temporairement. Quand il n'était pas en plein numéro, il s'installait à l'arrière d'une roulotte et officiait comme soigneur, s'occupant des petites blessures et autres tracas de tous ceux qui venaient le voir.

L'Apothicaire vint le rejoindre quand il eut terminé sa part du travail et donna une tape sur l'arrière de l'épaule du médecin pensif:

-"Vous serez heureux d'apprendre que notre patient s'en tirera et que les infirmières ont pris le relais. Bon sang, j'ai l'impression qu'aucunes afflictions ne vous résiste ! ..Eh bien, l'ami, on dort debout ? A quand remonte votre dernière sieste ?"

-"Oh vous savez, mes heures de répits sont tout à fait décentes en comparaison de celles de mes dernières affectations. Il m'arrivait de passer plusieurs jours sans dormir plus d'une ou deux heures."

-"Quand vous serviez comme chirurgien naval dans la marine ? C'est aberrant. Comment peut-on faire correctement son travail en se négligeant à ce point !? Quoi qu'il en soit, décence ou non, ce n'est apparemment pas suffisant. Regardez-vous ! Habituellement, quand quelqu'un se présente à moi avec des cernes pareilles, vous savez ce que je lui prescrit ?"

-"Tisane de camomille, tilleul et passiflor. Mon sommeil est amplement suffisant, rassurez-vous."

-"Camomille, tilleul et passiflor, en effet." Continua l'apothicaire sans tenir compte de la dernière remarque de son vis à vis. "Mais aussi du houblon ! Bien connu pour ses effets décontractant."

-"Vous m'avez fait part de votre ordonnance, recevez maintenant mon analyse médicale, Stephan: Vous êtes bien trop porté sur la bouteille." rétorqua le médecin, un peu amusé malgré tout.

-"Et vous pas assez, docteur. Je ne vous ai jamais vu porter un verre de quoi que ce soit de fort à vos lèvres."

-"Et je n'ai pas l'intention de commencer, je vous en remercie."

-"A la bonne heure ! Mais domaine médical mis à part, laissez-moi vous parler, non pas en collègue cette fois, mais en ami: Votre dévouement à votre tâche est louable. Nulle doute qu'Hippocrate et notre Seigneur seraient tous deux fiers de vous. Cela étant, je pense sincèrement que vous devriez vous reposer un peu. Vous en faites déjà suffisamment." Il regarda enfin à son tour par la fenêtre et déclara: "Pourquoi ne pas sortir un peu et profiter de l'air festif qui emplit les rues ? Cela vous changerait des vapeurs camphrées et des atmosphères aseptisées de cet endroit. Je suis sûr que c'est cela qui vous ramollit, mon bon docteur. Personne ne vous en voudra de penser un peu à vous pour mieux vous occuper des autres ensuite. Ne dit-on pas du Seigneur Lui-même qu'il s'est reposé au septième jour de Sa Création ?"

-"Et benedixit diei septimo, et sanctificavit illum, quia in ipso cessaverat ab omni opere suo quod creavit Deus ut faceret. Istæ sunt generationes cæli et terræ, quando creata sunt, Voici les origines des cieux et de la terre, quand ils furent créés.... Je connais mon catéchisme, Stephan."

-"A la bonne heure. Sommes-nous d'accord ?"

-"Nous sommes d'accord."

-"Bien ! Quel soulagement. J'étais à deux doigts de me résoudre à verser de l'opium dans votre prochain thé. Je vous attendrais sur le banc, près de la fontaine le temps que vous vous changiez: Vous avez du sang sur votre chemise, Michael."

Et il prit congé du médecin.

Laissé seul, ce dernier termina de nettoyer son matériel avec soin puis se changea dans le local prévu à cet effet. Il s'arrêta devant un petit miroir pour s'ausculter, chose qu'il ne prenait, pour ainsi dire, jamais le temps de faire. Si la fatigue n'était pas encore assez élevée pour représenter un fardeau pour l'ange, elle était en revanche clairement perceptible dans les traits de son visage. En effet, prenant sa tâche au sein de la clinique très à coeur, il négligeait souvent de prendre du temps pour lui. Il lui arrivait fréquemment, par exemple, de sauter un repas ou d'oublier de dormir sans que cela ne se répercute sur la qualité de son travail. Après avoir, à trois reprise, essuyé les suppliques de l'infirmière en chef qui s'inquiétait pour sa santé, il s'était résolut à adopter une hygiène de travail un peu moins zélée. La clinique, dans laquelle il n'était de passage à l'origine qu'en qualité de "médecin itinérant", manquait cruellement de personnel et son arrivée fut une véritable bénédiction pour le reste de l'équipe médicale. C'est assez rapidement qu'il devint indispensable et que son séjour prit un caractère plus définitif. Lors de ses premiers jours dans la région, il fit la connaissance de Stephan Delorme, Apothicaire et passionné de philosophie naturelle, qui devint son assistant. Il n'était donc pas rare qu'ils se retrouvent ensembles à échanger sur le sujet.

C'était d'ailleurs précisément ce qu'ils auraient fait aujourd'hui. Mais l'assistant du docteur semblait ailleurs.

Tandis que Manakel, sur le banc, observait silencieusement les amuseurs et leur public avec une attention toute soignée, tout en profitant de la musique, détaillant les réactions des seconds aux gestes des premiers, il finit par lâcher toujours sans un regard:

-"Parlez Stephan, je sens bien que quelque chose pèse sur votre âme. Je vous ai connu moins avare de mots."

Stephan après un regard pour son ami répondit:

-"On ne peut rien vous cacher. Je songeais aux partisans qui travaillent actuellement sur les écrits de Monsieur Darwins. Je crois qu'ils sont en train de tuer Dieu."

Manakel répliqua sans un regard pour son ami, fixant toujours un point devant lui:

-"Vous me rappeliez à mon catéchisme pour blasphémer ensuite. Décidément, vous me surprendrez toujours, Stephan."

-"Je blasphème, dites-vous ?"

-"C'est comme cela que sont appelés vos propos, Stephan." continua Manakel d'un ton amusé.

Stephan croise les bras.

-"Oui, vous dites vrai... Pardon, Seigneur." il se signa. "Mais il n'empêche que c'est bien ce qu'ils sont en train de faire. Ils le tuent dans le coeur des gens."

-"Premièrement: N'étant pas vous-même dans le coeur des gens pour vérifier vos propos, vous l'intuitez , et deuxièmement: ...Vous blasphémez encore."

-"Oui. Pardon." il se signa à nouveau.

Manakel tourna enfin son attention sur son collègue:

-"Pourquoi demander pardon si c'est pour vous parjurer ensuite ? Enfin, pardonnez-moi, là n'est pas ma question. A dire vrai, je vous pensais un fervent partisan du progrès. Je me rappelle encore vous entendre dire que 'la science n'était pas l'ennemie de la foi puisqu'elle permettait une meilleur compréhension de l'œuvre du Seigneur. C'est d'ailleurs pour cette même raison que l'on appelait cette branche: La Théologie Naturelle.' "

-"Et je suis partisan du progrès ! Grand Dieu ! Je le suis ! Mais je me questionne. J'ai l'impression que chaque pas qui nous approche de la compréhension de l'œuvre de Dieu nous éloigne de lui en finalité."

-"Et combien d'autres personnes sont de cet avis ?"

-"Eh bien je..."

-"C'est ce que je craignais. Vous avez donc abandonné votre esprit d'analyse quelque part entre vos plantes et vos remèdes. Vous êtes décidément incorrigible, Stephan."

Manakel se leva debout sur le banc pour avoir une meilleur vue des passants. Quand son regard se posa sur un jeune homme qui arrivait presque à leur portée. Était-ce son air ailleurs, ce livre particulier qu'il tenait tout contre lui comme un bien précieux ou la petite croix en bois montée en pendentif et serrée dans la paume de sa main, qui attira sur le jeune homme le regard pénétrant de l'ange ? Ou peut-être était-ce là une simple intuition ? La divine providence ?

-"Michael que faites-vous ?"

Quand l'homme arriva à leur niveau, le docteur descendit de son banc et l'interpela bien haut pour être sûr qu'il ne le manque pas:

-"Vous qui marchez résolut, avec votre bouquin et votre croix, êtes-vous homme de science et de foi ? Car Monsieur Delorme, ici présent, a le cœur et l'esprit en plein dilemme. Vous auriez bien en vous quelques mots qui allégerait le fardeau d'un homme ?"

Stephan glissa alors tout bas à son collègue: -"Monsieur, vous m'avez donc caché qu'en plus de médecin et chirurgien naval, vous étiez aussi une sorte de médecin de l'âme ?"

-"Je ne vous ai rien caché, Stephan, vous n'ignorez pas qu'il vous aurait simplement suffit de me le demander pour obtenir réponse aussitôt." répondit simplement O'Brian tout en sondant toujours le jeune homme du regard.

​

. . .

Fin de l'extrait

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