On the Road
La Rencontre
D'autant que Griven se souvenait, il a toujours été de ceux qui ne tiennent pas en place. Toujours en vadrouille, il voyageait avec ses quelques possessions qui tenaient dans un grand sac à dos. Parfois il s'arrêtait dans des petits motels de bord de route, parfois il dormait à la belle étoile. Griven savait chasser. C'est quelque chose qu'il avait appris tôt. Du temps où il était encore un petit jeune livré à lui même. Il lui arrivait de vendre ce qu'il prenait, ce qui lui permettait de se faire un peu d'argent. Parfois quand il s'arrêtait dans des petites villes où il n'avait pas la possibilité de profiter de vastes espaces sauvages, il travaillait quelque temps comme aide-mécanicien ou trouvait des petits boulots. Il n'y restait jamais très longtemps. On pouvait compter ses haltes en jour ou en semaine pas plus d'un mois ou deux grand maximum, parfois même trois si la situation s'y prêtait. Mais l'appel du voyage se faisait vite ressentir et il quittait finalement sa routine pour reprendre la route. Il n'était pas à plaindre. Il aimait cette vie de solitude et de liberté.
Il n'a pas toujours été seul sur la route. Depuis qu'il avait commencé à voyager, ses pérégrinations le conduisirent même à croiser la route d'une personne qui fit un bout de chemin avec lui pendant quelque temps.
Ce soir là, Griven s'était arrêté dans un de ces pubs pour routier. Un petit bouiboui aux relents de binouz et d'huile de moteur. Alors qu'il réglait son addition et qu'il quittait l'endroit, il entendit des éclats de voix en provenance du parking arrière. Il allait partir quand une jeune femme sortit de nulle part et lui attrapa le bras. Elle avait les cheveux coupé courts en bataille, ses habits comprenaient de vieilles baskets, un jeans troué et sweet rouge à capuche ouvert sur un t-shirt qui lui remontait jusqu'au dessus du nombril lui donnaient un air débraillé. Elle avait un bleu sur la joue et son maquillage avait coulé. Elle le regarda avec un regard suppliant et lui dit : ''S'il vous plait. Aidez-moi !'' en jetant de petit regard inquiet en direction de l'arrière du bar, d'où provenaient les éclats de voix.
Chose surprenante mais loin d'être inhabituelle à cette époque de sa vie, la première pensée de Griven à la vue de cette petite en détresse avait été plutôt tordue. Le genre de pensée qu'il n'a plus depuis longtemps aujourd'hui. Sa vie de mauvais garçon étant derrière lui. Quoi qu'il en soit, il n'eut pas le temps d'approfondir l'idée car une fraction de seconde après, déboulant à l'entrée, un immense type avec un débardeur gris et taillé en armoire à glace avança dans leur direction en faisant de grande enjambée. Les yeux de la demoiselle s'agrandirent d'effroi et elle se cacha derrière Griven en lâchant: ''Le laissez pas me faire du mal...''
Griven la dévisageât en fronçant un peu les sourcils puis se plaça entre elle et l'homme qui s'amenait. Il pouvait sentir l'odeur prononcée d'alcool émanant du type.
-''Espèce de petite garce revient ici ! Et toi là, écarte toi !'' lança le type.
Griven croisa les bras. Il plissa le nez. Ce mec puait l'eau de Cologne bon marcher. Une véritable infection.
-''Tu lui veux quoi à la petite ?'' lança Griven.
-''Pas tes affaires, tarlouze.''
Griven soupira et resta campé sur sa position. Le type mesurait environ une tête de plus que lui.
-''C'est toi qui l'a frappée ?''
-''Je t'ai dit de dégager sinon je colle mon poing dans ta tronche de rat.''
''Un nerveux, bah voyons...'' pensa Griven.
Il ne connaissait que trop bien ce genre de gars. Le genre qui joue au plus fort, qui cogne les gonzesses et ceux qui sont plus faible qu'eux mais qui ont si peu de couilles qu'ils s'inclinent en deux secondes sous l'effet de la peur. Et ce qui caractérisait ce genre de type était justement qu'un rien les effrayait.
-''Bah vas-y. Cogne alors.''
Le type hésita mais le poing partit droit dans la mâchoire de Griven qui s'était préparé au choc. Il bougeât à peine en encaissant le coup, cracha juste un glaviot de sang avant de faire craquer sa nuque et de lancer:
-''C'est tout ?''
Le type lança son poing une nouvelle fois en direction de Griven mais ce dernier l'intercepta et serra. Le malabars lâcha un cri de douleur et posa un genoux a terre.
-''J'sais pas c'que tu lui veux et entre nous j'en ai rien a foutre. C'que j'veux en revanche c'est que tu te casse de là. Elle, tu lui fou la paix et tu l'oublie fissa. Clair ?''
Le malabars ne répondit pas alors Griven serra un peu plus fort. On entendit un craquement sourd. Nouveau cri de douleur du gars.
-''Okay, c'est bon c'est bon je me tire, lâche moi''
Griven lui jeta un regard de haut. Ca n'était pas finit mais il consentit néanmoins à lâcher le gars qui partit en courant dans le bâtiment en tenant sa main endolorit.
Il se retourna vers la demoiselle:
-''Ca va aller ?''
-''Oui je crois que... ATTENTION !'' cria-t-elle.
Le malabars sortit en trombe du bâtiment, les yeux fou, tenant une grande hache à la main.
-''Wow..'' lâcha Griven en poussant la jeunette de côté.
Le gars abattit sa hache, Griven esquiva le premier coup puis se campa sur ses deux jambes et attrapa le manche un peu en dessous de la lame quand la hache s'abattit une deuxième fois.
Il contracta ses muscles et exerça une force opposée pour repousser l'arme. Le type, ivre et visiblement très énervé tenait bon.
Griven grogna avec colère:
-''Je t'ai dit de te CASSER !''
Il sentit la fureur monter en lui. Sous la poussée d'adrénaline, il arracha la hache des mains du type avec rage. Ses yeux prirent une teinte jaune luisant sous le coup de la colére. Il rugit en levant la hache:
-''Tu veux crever, sale BÂTARD ?''
Le malabars s'effaçait de plus en plus face à la force de la nature qui lui faisait face. Il regardait ses horribles yeux avec effroie. Il allait mourir. Il en était certain et mouilla son pantalon à cette idée. Tout ça à cause de cette gamine qui ne s'était pas laissé... pensa-t-il et c'est le trou noir.
Le type tomba en avant. Inconscient. Derrière lui la jeune fille se cramponnait à une barre de fer.
Griven abaissa sa hache doucement. Haletant son regard passa de la demoiselle au le mec inconscient sur le sol puis revint sur la fille. Il jeta la hache à terre et passa ses mains sur son visage. Ses yeux reprirent leur teinte habituelle.
-''Bordel... quelle nuit...'' dit-il
Puis jetant à nouveau un regard au type il lâcha: ''Bien joué, Capuche Rouge.''
Il refit craquer ses articulations et tourna les talons.
La fille lâcha la barre et le rattrapa.
-''Tu vas où ?'' lui demanda-t-elle.
-''Loin de ce trou.''
-''Je peux venir avec toi ? J'ai nulle part où aller.'' lui demanda-t-elle.
-''J'préfèrerai pas. Tu m'a l'air d'un nid à emmerdes.'' dit-il sans un regard.
-''Tes yeux. Ils étaient jaunes.'' lui dit-elle simplement.
Griven poussa un long soupire.
-''Okay... Viens si tu veux. Mais essaie de pas te faire remarquer.''
-''L'autre type. Il m'a prise en stop et...'' commença-t-elle, marchant à côté de lui.
-''J'avais compris. Pas la peine de continuer.'' la coupa-t-il.
Elle ne dit rien. Marchant en silence à côté du grand brun. Il finit par rompre le silence:
-''T'as un nom ?''
-''Comme tout le monde. Mais comme tu m'as appelée avant ça me plait bien, Chaperon Rouge.''
-'' J'ai dit Capuche Rouge...''
-''C'est tout pareil. Capuche rouge, Chaperon Rouge.. Et toi ? T'as un nom ?''
-''Comme tout le monde...'' répondit-il sarcastiquement.
-''Okay. Alors si je t'appelle...mmh... Grand Méchant Loup, tu m'en veux ?''
Il haussa les épaules toujours sans un regard en continuant simplement de marcher au bord de la route. -''Pff..'' lâcha-t-il avec une pointe de dédain.
-''Marché conclut alors. Big Wolf et Lil'Red prennent la route.'' dit-elle.''
Ils en avaient fait du chemin tout les deux. Inséparable et veillant l'un sur l'autre. Puis un jour, ayant grandit tout les deux et prit de la bouteille, ils s'étaient arrêté dans un joli petit village à la lisière d'une magnifique forêt. Les gens y étaient charmants. Ils y étaient restés longtemps puis quand se fut le moment de reprendre la route, elle avait choisit de rester et la sachant en sécurité à l'aube de sa nouvelle vie, il était repartit seul. Cela lui convenait.
"La Rencontre" Après ...
C’est sur cet échange que le jeune loup quitta le parking, la petite aux yeux clairs sur les talons. Après le début de conversation qu’il venait d’avoir, le loubard ne voyait pas l’intérêt d’adresser la parole à la dénommée « Red ». Pour lui, tout était déjà calculé : Il allait se rendre jusqu’à la première ville venue, les femmes n’étant jamais très endurantes ou patientes, elle allait probablement le suivre un moment pour profiter de l’illusion de sécurité qu’il dégageait mais voyant l’inconfort du voyage à la rude, elle finirait par se plaindre du manque de commodités, d’avoir besoin d’une douche ou de manger, peut-être même se plaindrait-elle du rythme ou de douleur dans les jambes (oh comme il se moquait de ces préoccupations si terre-à-terre), puis elle s’arrêterait à l’hôtel ou prendrait le train et lui pourrait continuer tranquillement.
Oui, il ne lui donnait pas plus que la ville voisine à 4 kilomètre d’ici.
​
Passant à côté d’un buisson, à côté du parking, il remarqua du coin de l’oeil la pot-de-colle s’arrêter, se pencher et glisser dedans jusqu’aux hanches. Même si la vue de la demoiselle penchée ainsi dévoilait des perspectives intéressantes, il ne prit même pas la peine de l’attendre ou de regarder ce qu’elle faisait, il marcha tout droit et elle ne l’interpela même pas pour qu’il l’attende. Elle se redressa peu de temps après et en sortit une grosse valise à roulette noire sur laquelle étaient accrochés quelques badges avec un petit cadenas sur le côté.
La suite du chemin se fit sans échanges entre eux. Seul quelques grillons et le roulis de la valise sur le macadam du bord de route brisaient le silence nocturne. Il s’était attendu à devoir supporter une interminable série de questions tout le long du chemin mais il remarqua que même si l’idée semblait avoir effleuré la demoiselle à sweat rouge, elle s’était abstenue de le déranger, respectant son silence.
Arrivé dans la première ville où il attendait que la petite cesse de le talonner, il entra dans une épicerie pour se prendre un sandwich. Il avait faim. Il procéda donc à son achat et vit, toujours du coin de l’œil, la petite fouiller dans ses poches et jurer : Elle était à sec. Souriant intérieurement devant la mauvaise fortune de la pot-de-colle, il sortit de l’épicerie et alla s’assoir sur un banc pour manger. Red sortit à sa suite, déposa sa valise juste aux pieds du loup qui lui jeta un regard de travers puis elle entra à nouveau dans le magasin. A travers la vitrine de l’échoppe, il vit la demoiselle s’approcher d’un client. Elle passa une mèche de cheveux colorés derrière son oreille avec un petit sourire (faussement) timide. Tortillant ses mains derrières son dos en passant d’un pied à l’autre elle finit par poser une main sur l’épaule de son interlocuteur. La conversation sembla durer quelque brèves minutes et le jeune loup, occupé à dévorer son sandwich, ne perdait pas une miette de ce qui se passait. Finalement, le client et elles disparurent à sa vue derrière les étagères. Au moment où il termina son sandwich, il se leva, bouche pleine et la vit ressortir avec un énorme sandwich. Elle souriait en saluant quelqu’un derrière son épaule puis quand la porte de l’échoppe se fut refermée derrière elle, elle leva les yeux au ciel et souffla : « Tss, pigeon… » Avant de mordre dans son sandwich et attraper sa valise. Elle dévisagea son compagnon de route silencieusement l’air de dire : « Je suis prête ».
De son côté, Griven ne pu s’empêcher d’avoir un élan d’approbation pour la demoiselle. Sans un sous en poche, elle avait brillamment entubé quelqu’un pour se faire payer ce dont elle avait envie et était ressortit tenant fièrement sa récompense. Et sa satisfaction était palpable: Elle mangerait ce soir. Pour le jeune loubard, c’était faire montre de débrouillardise. Lui-même très débrouille, il pensait à juste titre que c’était un trait indispensable pour survivre et s’il fallait léser des gens (des « pigeons ») dans l’opération, c’était tout bénèf’. C'est la Loi de la jungle et si t’es trop con pour ne pas remarquer que t’es en train de te faire avoir, c’est que t’es pas taillé pour ce monde.
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Avalant la dernière bouchée de son sandwich qu’il mâchait encore, il tourna les talons et se remit en route. Bien qu’il approuve les méthodes dont elle usait, ça ne signifiait pas qu’il avait envie de se la coltiner encore. Bon.. Il passerait par la gare en espérant qu’elle le lâche puis regagnerait la ville voisine. Il rentrerait dans l’appart’ qui lui servait de domicile temporaire. Plus tard, il irait bosser au garage où il travaillait actuellement le temps de renflouer ses finances puis il finirait par prendre une fois encore la route. La petite poule aguichante aux yeux clairs serait oubliée depuis longtemps.
La gare atteinte, il ralentit la cadence, attendant qu'elle bifurque. Voyant qu'elle ne jetait même pas un regard en direction de la station il finit par s'arrêter et lui dire:
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-"La gare est ici. Tu peux te tirer maintenant..."
Elle croisa les bras et lui répondit:
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-"J'ai pas besoin de prendre le train. Et de toute façon, j'ai pas d'argent pour ça."
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-"T'as qu'à resquiller... Ca devrait pas emmerder une petite maligne dans ton genre.."
Ne prenant même pas la peine de répondre, elle haussa les épaules et lâcha:
-"M'en fou, Big Wolf. C'est pas ma destination.."
Il serra les dents et lui décocha un regard mauvais. Elle s'accrochait et ne semblait pas faiblir le moins du monde. Griven se remit donc en route sans un regard pour elle.
Ils traversèrent la ville puis marchèrent encore jusqu'au patelin voisin. Quand il l'atteignirent, l'aube pointait son nez.
Pas une seule fois, il s'était permis de l'observer. Plutôt que de s'énerver contre elle, il préféra l'ignorer et faire comme si elle n'existait pas. C'était le meilleur moyen qu'elle se lasse et finisse par le laisser tranquille.
Il atteignit finalement le vieil immeuble dans lequel il louait un petit appartement. Il grimpa les escaliers jusqu'au 4ème étage en trottinant, laissant Red au pied de l'escalier, se dépêtrer avec sa valise. Jusqu'à dans l'immeuble, elle l'avait suivit.
Arrivé chez lui, il déverrouilla la porte entra et ferma derrière lui. Puis il retira ses bottes et sa veste noire maculée de petites taches de sangs, invisible sur la surface sombre du cuir. Ensuite il se dirigea vers un placard, ouvrit une bouteille de rum et bu. Il avait besoin d'un verre avant de sombrer dans le sommeil: Il était exténué.
Tandis qu'il buvait son verre cul-sec, il entendit un frappement discret à sa porte. Le jeune loup s'approcha, un peu méfiant et ouvrit.
C'était la fille au yeux clairs. Red. Elle avait enfin réussit à gravir les 4 étages en hissant laborieusement sa grosse valise à chaque paliers et était arrivée à destination.
-" Est-ce que je t'ai dit que tu pouvais venir te taper l'incruste chez moi ? Non. T'as rien a faire ici, alors dégage. J'en ai rien à foutre que t'ai soi-disant nulle part où aller..." lui lança-t-il. "Tu m'as suivit jusqu'à atteindre la ville, tant mieux pour toi, mais je te l'ai dit dès le début: J'ai pas envie d'un nid à emmerde dans mes pattes..."
Elle resta un moment à le regarder. Immobile et impassible. Puis finalement elle lui dit en levant un sourcil:
-"C'est bon, Mister Wolf ? Tu as finit de cracher ton venin ?"
Griven lui jeta un regard noir et rétorqua: "Ouai. J'ai finit, ciao..."
Puis lui claqua la porte au nez.
Il tourna les talons et alla se resservir un nouveau verre qu'il but tout aussi rapidement. Pas de pas qui s'éloignent dans le couloir. Pas de roulis de valise non plus.. Mais c'est qu'elle campait devant la porte ma parole ! Se dit le lycan. Il se vautra dans son fauteuil puis réfléchit, son verre à la main.
Oui, l'idée de la voir s'incruster lui déplaisait grandement : ll n'aimait pas la compagnie, surtout quand elle durait trop longtemps. D'ailleurs il ne ramenait jamais personne chez lui quand il s'installait quelque part. Mais d'un autre point de vue...
Il était un loup. Un jeune loup qui devait avoir 3ans de plus qu'elle, certes, mais un loup reste un loup.. Et ce petit Chaperon Rouge improvisé s'était perdu.
Un petit Chaperon Rouge qui, comme il l'avait très vite constaté, était des plus... appétissant... Pourquoi alors se priverait-il d'un pareil festin ? Il savait faire preuve de patience, et s'il voulait avoir l'occasion d'y goûter, il devrait d'abord déroger à quelques règles, en commençant par la laisser entrer. Après tout, ça n'est pas tout les jours non plus qu'une opportunité se présentait d'elle-même et qu'une jeune fille suppliait qu'on la laisse se jeter dans sa gueule.
Après un instant à méditer sur s'il allait ou non céder à la tentation, il finit par se relever, poser son verre sur l'étagère. Il sortit un édredon d'un placard et le posa sur le canapé avec un coussin, puis il s'approcha silencieusement de la porte. En regardant par le judas, il la vit assise contre le mur qui lui faisait face. Elle restait simplement là, le regard rivé sur le sol. Griven jeta un coup d'oeil à la pièce vide derrière lui et finalement ouvrit grand la porte. Red releva la tête, l'air un peu surprise. Le lycan fit un pas de côté pour lui laisser le champs libre, sans un mot.
Saisissant l'opportunité qu'il lui présentait, elle s'empressa de se lever, attrapa la valise et entra sous le regard attentif du grand brun.
Il referma la porte à clé derrière elle. En se dirigeant vers sa chambre, il indiqua le canapé sur lequel reposait l'édredon d'un geste du pouce. Quand il fut dans sa chambre, il ferma la porte, se changea puis se laissa tomber sur son lit.
De son côté Red qui avait posé sa valise à côté du canapé, faisait le tour de la pièce. Regardant autour d'elle. Puis elle aperçu le rum et le verre sur une étagère. Elle prit la bouteille, regarda l'étiquette et se servit dans le même verre que celui qu'avait utilisé Griven plus tôt. Son verre plein, elle jeta un regard à la porte de chambre et regagna le canapé. Elle tira sa valise à elle, l'ouvrit et fouilla dedans elle en tira un pyjama qu'elle enfila avant de de se glisser sous les couvertures, toujours en position assise. Elle se mit à siroter le rum en regardant autour d'elle.
Finalement, elle ne s'en était pas si mal tirée et c'était une chance pour elle. Sortant un vieux livre au pages cornées et gondolée elle alluma la petite lampe à abat-jour posée sur une petite table à côté du canapé et lut tout en buvant son rum.
***
Le lendemain, Griven émergea au alentour de midi. Il se leva, alla prendre une douche et s'habilla d'un vieux jeans troué et d'un vieux haut pas trop dommage et se prépara à partir travailler au garage local pour son petit job temporaire.
Sur le moment, il avait presque complètement oublié la présence de la petite demoiselle de la veille. Il alla à la cuisine, refit rapidement chauffer un reste de café froid noire et épais au fond d'une vieille cafetière (mixture vraiment imbuvable) s'en coula une tasse et en bu une unique gorgée avec un dégoût non dissimulé. Il versa le contenu de la tasse et de la cafetière dans son évier et ouvrit son frigo. En dehors de bières, d'oeuf et quelque aliments empaqueté, se trouvait encore deux bouteilles de lait. Il attrapa celle à moitié vide et l'ouvrit, renifla le contenu qui finit au fond de l'évier avec le reste de café brûlé.
Il ouvrit la bouteille neuve, réitéra son inspection et bu à même la bouteille. Refermant la porte du frigo, sa bouteille de lait encore à la main, il remarqua une présence sur le fauteuil de son salon. Il alla jeter un oeil circonspect et vit une jeune fille allongée sur le côté dans le canapé, une jambe par dessus la couverture et l'autre par dessous, sa jambe de pyjama relevé dévoilant sa fine gambette. Un bras passait sous le coussin tandis qu'une moitié de la couverture lui remontait jusqu'à l'épaule. Il la contempla un moment tout en buvant son lait. Ses souvenirs de la veille lui revenant peu à peu à l' esprit.
Il referma la bouteille, la rangea dans le frigo puis regagna le salon d'un pas vif où il enfila sa veste et quitta la maison qu'il verrouilla derrière lui.
Non pas qu'il craignait la présence de voleur, il n'avait rien de valeur autre que son vieux sac à dos (qui lui tenait lieu de baluchon de vagabond) et qui se trouvait sous son lit dans sa chambre. L'appartement qu'il louait était déjà meublé et équipé. C'était toujours plus simple de ne pas avoir à se soucier de tout cela quand on ne restait pas longtemps au même endroit. Et ça faisait toujours ça de moins à transporter.
Non, si Griven fermait sa porte à clé chaque fois qu'il quittait sa tanière, ça n'était que par pur réflexe. Il n'y voyait pas de raisons particulières. Probablement un quelconque vestige de quelque chose appris lors de l'enfance. Un élément de son passé qu'il, comme tout le reste, avait du oublier. Mais certains détails vous restent toujours même sans en connaître la provenance.
***
Red, de son côté se réveilla bien après le départ du loup. Elle bailla, s'étira puis se redressa en se frottant les yeux, l'air encore ensommeillée. Il flottait une légère odeur de café brûlé qui lui retourna l'estomac mais pas assez pour lui couper l'appétit. Elle jeta un oeil par la fenêtre et constata qu'il faisait grand jour. Combien de temps avait-elle dormit ? Elle n'en savait rien. Ces derniers jours avaient été des plus mouvementés et elle était bien heureuse de s'être trouvé un endroit où zoner. Sans compter la rencontre avec son curieux sauveur aux yeux jaunes.
-"Non." dit-elle d'un ton résolut à la pièce vide. "Je n'ai pas rêvé. Il avait les yeux clairs même dans la pénombre du parking ça se voyait. Ils étaient même gris, je crois, et 'pouf !', il met la pâté à l'autre type et voilà qu'ils virent au jaune.. Aucun doute là-dessus. Et ils brillaient."
Elle se gratta la tête et regarda autour d'elle en quête d'une présence. Mais l'appartement était calme et semblait désert. Elle se leva, se rendit dans la cuisine et ouvrit les placards. Quelques vieilles boîtes de conserves trainaient là. Sinon ils étaient quasi vides. Elle en ouvrit d'autres, pas plus de chance avec ceux-là. Elle vit la vieille cafetière sur le plan de travail, l’attrapa et la leva au niveau des yeux avant de la reposer. Puis elle ouvrit le frigo. Pas plus concluant... Et c'est là qu'elle aperçu la bouteille de lait. Elle l'attrapa, retira le bouchon, l'inspecta avec attention puis quand elle jugea qu'il était frais, elle sortit un verre d'un des placards et se servit.
Assise sur le plan de travail, elle bu son verre. Le lait, c'était cool. Mais ça n'allait pas la nourrir. Peut-être fallait-il mieux qu'elle sorte prendre son déjeuner (peut-importait l'heure) à l’extérieur. Elle rangea la bouteille, lava son verre et partit en quête d'une salle de bain. Elle la trouva enfin et passant devant le miroir elle remarqua que son mascara lui faisait deux trainées noires sous les yeux, probablement du aux larmes de frayeur de la veille.
Red avait déjà connu des situations bien plus tendue que ça mais celle qu'elle avait vécu l'autre soir était de loin la plus désagréable car les chances d'issues favorables c'étaient violemment amenuisées. Si le jeune loubard ne s'était pas trouvé sur son chemin quand elle tentait de fuir l'autre routier...
Elle chassa ces sombres pensées puis alla chercher une serviette dans sa valise et prit une douche. L'eau chaude lui fit du bien et lava ses appréhensions de la veille ainsi qu'elle-même. Se sentant plus fraîche, elle s'habilla, s'apprêta et se mit à fureter dans la maison. Le resto c'est bien, mais il lui fallait de l'argent. Si elle savait y faire avec les gens comme l'homme de l'épicerie, les serveurs étaient loin d'être aussi bonne poire. Red trouva finalement ce qu'elle cherchait sur un étagère et empocha les deux billets qui trainaient là sans trop d'hésitation avant de quitter l'appartement. Enfin oui non, ça c'est ce qu'elle aurait voulut faire mais la porte était fermée à clé. Elle posa une main sur la hanche, l'air empruntée. Le loubard était partit et avait du emporté la clé avec lui. Red se dirigea donc vers la fenêtre qu'elle ouvrit. Elle constata que cette dernière donnait sur l'escalier de secours en ferraille que certains immeubles arborait. Parfait ! Elle descendit donc agilement, l'air de rien, refermant la fenêtre derrière elle et se rendit au restaurant le plus proche dans l'idée d'y manger du bacon et des oeufs tant elle avait faim. Lorsqu'elle trouva ce qu'elle cherchait, pendant son repas, elle se surprit à repenser au loubard qu'elle avait suivit. A vu de nez il devait avoir quelques années de plus qu'elle mais pas grand chose.. "3ans ? 4 ?" quelque chose comme ça. Ce qui devait lui faire... 19ans ? Vu l'état de son appartement, c'était évident qu'il n'y était que provisoirement. Un jeune homme d'à peine la vingtaine, aurait plus prit ses marques. Il aurait du y avoir des affaires personnelles ou autre mais, en dehors de quelques affaires, l'endroit semblait presque aseptisé, il avait la froideur impersonnelle d'une chambre d’hôtel. Dans ce cas, que faisait un jeune homme de sa trempe dans les rues ? D'autant que Red le savait, les garçons perdus, même plus jeune n'étaient pas rare mais ils se contentaient souvent de rester en bande. Mais pas celui-là. Un fugitif ? Ca se pourrait mais il ne semblait pas faire d'effort pour se cacher et un fugitif ne travaillerait pas. Sans compter l'étrange phénomène auquel elle avait assisté...
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-"Mouai." dit-elle à voix haute à la chaise vide devant elle en enfournant une bouchée de son omelette et faisant des moulinets avec sa fourchette. "Ce type est décidément très spécial. Et je pèse mes mots ! J'pense que rester un moment et tenter d'y voir plus clair n'est pas un mal, ma petite. T'aura qu'à tourner encore un peu dans le coin et si les choses se gâtent avec le Grand Méchant Loup et qu'il prends la mouche, t'aura qu'à te carapater. Mouai, tiens tiens ! Mais ça m'a tout l'air d'un plan ça !"
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Quelque clients tournèrent la tête dans sa direction, voyant cette jeune fille parler toute seule à sa table et détournèrent le regard en voyant son accoutrement et ses manières sans s'attarder sur ses propos.
Une fois son repas terminé, qu'elle régla avec l'argent trouvé dans l'appartement, elle se dit qu'elle allait partir à la recherche du loubard. "Il bosse dans un garage.." se dit-elle. Et elle quitta le restaurant.
***
Griven, les mains noires de cambouis dù a ses précédents travaux et une clé à la main, était en train de changer une roue sur une jolie grosse cylindrée quand son regard se perdit sur la zone à l’extérieur. Bien que d'un naturel concentré, il avait acquis un tel savoir-faire que cette tâche était devenue machinale et qu'il pouvait se laisser aller à contempler le paysage alentour, le regard perdu dans le vague. Le garage donnait sur un parc dissimulé par des buissons. Quelques arbres étaient visible de l'autre côté et il y avait un banc de l'autre côté de la route qui séparait le garage du parc. Aujourd'hui, le banc était occupé par une demoiselle qui le regardait. Griven plissa les yeux: C'était la petite qui roupillait chez lui ce matin encore. Bien qu'elle portait d'autre vêtement, le survête à capuche ne le trompait pas. Elle était assise en tailleur sur le banc pile en face de lui et le regardait travailler tranquillement.
Pourquoi elle le dévisageait ainsi ? Qu'est-ce qu'elle lui voulait ? Et surtout: Que faisait-elle ici ? Telles étaient le genre de questions qui se présentèrent à lui. Puis Red lui fit un petit signe de main en guise de salut. Griven fronça les sourcils.
C'était le bouquet...
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Il prit donc la résolution de se concentrer sur son travail.
"Si je l'ignore, elle finira par se lasser et rentrer... Ou partir, c'est bien aussi.. C'est pas forcément mieux pour mes plans mais c'est bien aussi si elle pouvait se casser..." Ah oui. Ses 'plans'... Si la petite laissait tomber et se tirait, il en serait ravit mais d'un autre point de vue, il ne l'avait pas laissé entrer par pure charité. Il lui répondit donc par un vague signe de tête tout en revissant la roue.
Pendant l'heure qui suivit, il continuait de vaquer à ses occupations, ne pouvant s'empêcher de lever par moment le nez de son travail en cours pour voir si la petite terrible en sweat rouge avait déserté et constatait (peut-être à son grand damn ?) qu'elle était toujours là, assise sur son banc et qu'elle le regardait toujours travailler. "Mais qu'est-ce qu'elle me veut à la fin ?" pensa tout d'abord le lycan avec un grognement de mépris. "Elle a pas d'autre choses à foutre que de me regarder ?". Il eut soudain une pensée pour 'Loup Bleu' le personnage d'un livre qu'il avait lut quand il était gosse. Ce loup borgne qui s'était retrouvé dans un zoo après une vie mouvementée et en face de lui un petit garçon qui le fixait sans ciller pendant des plombes. Il se rappelle que le loup de l'histoire avait eut la même pensée et à présent il se sentait comme lui, épié, observé, et cela ne manqua pas de le déranger. "On verra si t'aura toujours envie d'utiliser tes grands yeux pour me voir, 'mon enfant',quand je te les aurait fait bouffer..." Pensa rageusement et sarcastiquement le loup. Puis au fil des heures, il finit par ne plus y prêter attention et sa colère diminua. Il s’aperçut alors qu'il faisait des montagnes d'un détail et que la petite pot-de-colle n'était finalement pas responsable de son accès de mauvaise humeur.
***
A la fin de la journée, il avait complètement oublié la présence de Red et s'était remis en route pour rentrer chez lui et c'est sans un échange que Red, qui avait passé une journée complète à l'observer, lui emboita le pas.
Les discussions viendraient plus tard, s'était-elle dit à un moment. "Ce type... ou plutôt 'ce grand méchant loup', est exactement comme le renard du Petit Prince. Il faut l’apprivoiser si on veut en tirer quelque chose. Sinon, on peut toujours aller se faire voir. Et apprivoiser un gars comme lui, ça demandera du temps. Heureusement que j'en ai et... heureusement, ça avait l'air d'en valoir la peine."
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